Le supporter bayonnais.
Oui, je suis insatisfait du match de samedi dernier (Aviron bayonnais vs Stade Toulousain), et je vais vous dire pourquoi, mais je dois dire que ce petit texte qui est très modeste, et que WKM ou Manuel 31 me pardonnent, se veut un simple écho de ce que depuis plus d’un siècle, dans notre Ovalie si chère, nous pratiquons, du Havre à Nice, et de Vannes à Epinal.
Tout d’abord, je voudrais expliquer ma propre frustration, elle est celle de quelqu’un qui a, comme beaucoup de mes congénères gascons ou basques, une admiration profonde pour cet art qu’est le rugby toulousain depuis au moins 2 décennies. Ce jeu qui fait notre admiration, je vais le comparer, excusez-moi, à cet autre art fait tout à la fois de passion et donc de frustration, de lumière et d’ombre, de noir et de « rose », la tauromachie. J’aurais pu prendre aussi l’opéra, mais mon ego est tel que je ne voudrais pas trop me ramasser tout de même. Les prestations récentes de certain ténor – qui n’est pas toulousain – ou de soprano, plus que médiocres, pourraient en faire partie, mais pour cela il eut fallu que je me trouve à Milan ou à New York… ou au Capitole.
Imaginons que vous êtes aficionado de cet art, et restez s’il vous plait dans cette hypothèse, et qu’une affiche vous promette une tarde « extraordinaria » avec 6 toros 6 bravos y limpios et 3 figuras de première catégorie (par exemple, excusez, c’est un rêve toujours, Enrique Ponce, El Juli et Sebastien Castella), mais que, la saison étant longue et les cornes assez astifinas pour en perturber le bon déroulement, vous vous trouviez avec un autre cartel (Morante de la Puebla, Rivera Ordoñez et Julien Lescarret et je ne fais injure à personne). Même si le bétail est celui affiché, vous n’aurez pas la même corrida. Samedi, c’était pareil, nous avions un « bétail » classique, pour nous, les bleus et blancs dont nous savions qu’à la fin, ils seraient envoyés en boucherie, le tout était de savoir de quelle manière. Les figuras toulousaines étaient assez bonnes pour l’affiche, notamment dans la ligne d’attaque… Mais ont-ils joué le jeu ? Les picadores ont-ils trop porté la pique et les toros n’avaient plus le même jeu pour le dernier tiers, sur la réserve et la défense agressive…
Toujours est-il que le triomphe n’est pas au rendez-vous. Corrida
d’expectación, corrida de decepción se dice tras los montes. Oui, je suis frustré car j’attendais un véritable match où nous aurions pris 5, 6… essais, et nous avons pris 3 petits drops (certains s’en contenteraient surtout lorsqu’ils jouent avec une rose…) et nous n’avons rien vu. Certes la fébrilité et surtout la naïveté de notre toro a permis qu’il y ait des mises à mort, mais après combien de pinchazos de descabellos… Et au moins 3 toros sont rentrés sur leurs pattes pour finir à l’abattoir. Alors vous me permettrez ce petit coup de moins bien. Un public comme le nôtre n’aurait jamais chambré JBE pour une
transformation d’un essai de Cédric Heymans (ou 2) ou de Byron « the king » Kelleher ou de… la liste est longue et les figuras toulousaines si uniques.
En fait, nous nous sentons frustrés et quelque part méprisés par tant de condescendance et peut-être même d’arrogance. Alors lorsque je lis ailleurs et ici que le public est ceci, ou tel joueur cela… Je me demande si je dois me sentir concerné. Oui et même je le suis doublement car du haut de leur victoire et de leur situation les joueurs « rossoneri » et leur encadrement se font assez souvent des donneurs de leçon. Je ne crois pas qu’un seul des supporters bayonnais pouvaient légitimement penser que son équipe allait battre cette équipe star si ce n’est en combattant… Et elle a bien défendu. Mais les rouges et noirs avaient la place de nous montrer leur classe, on a même eu l’impression que certains n’avaient même pas transpiré.
Alors, oui, je suis un modeste supporter d’une équipe modeste, et même pire, je suis un fan de « pelouse » (avec e et même de celui sans e), les pieds dans la boue, de septembre à juin… toujours au même endroit jusqu’à ce qu’il n’y ait plus, dans notre stade, que des places assises, trop chères pour ma bourse de retraité.
J’appartiens, par certains côtés, à cette « race de supporter (supporterius empoisonnans) » dont parlait le chanoine Jean Lamarque en 1930.
« Fait digne de remarque : il prend de l’importance et devient envahissant dans la mesure où le « club » auquel il s’est attaché connaît des succès… Mais la victoire est au supporter ce que l’humidité est au champignon : il y naît spontanément ; il y puise une étonnante vitalité ; il y prend, du jour au lendemain, d’inquiétantes proportions… Et tout d’abord, il parle, il parle intarissablement. Ce succès, il l’avait prévu, et c’est d’ailleurs à ses conseils qu’il est dû. Nouveau stratège en chambre, petit Foch pour café du commerce, il met sur pied l’équipe idéale (la sienne), saquant impitoyablement celui-ci, titularisant cet autre sans l’ombre d’une hésitation. »
« … Pendant la partie, il est à lier. Aux équipiers, il crie la tactique à suivre ; aux adversaires, il hurle des invectives ; à l’arbitre il décroche les pires injures… »
« Vienne la défaite, le « supporter » rentre dans l’ombre comme l’escargot dans sa coquille…
Victimes de ce triste pitre,
Dirigeants, équipiers, arbitre,
Et toi, placide spectateur,
Dieu vous garde du « supporter »
[1].
Cependant, je suis plus impitoyable en ce qui concerne l’Equipe de France que pour celle en bleu et blanc ou rouge et noir…
Et je ne résiste pas à vous donner ceci en prime :
« Le sport tient à Bayonne une trop grande place pour que je n’enregistre pas, à mon tour, le malaise – j’allais dire le marasme ! – qui gagne lentement beaucoup de vieux (et pas mal de jeunes) fervents du Rugby… Voyez donc ces visages, un peu plus longs, chaque dimanche soir ; ces tables de café autour desquelles monte – « lamento » douloureux – tout un concert de prévisions pessimistes ; ces groupes mornes, déambulant sur nos places dans un silence lourd de réflexions, tandis que le brouillard, chaque jour plus épais, semble avoir banni à tout jamais le blanc comme le bleu du firmament bayonnais…
« Les sportifs sont en deuil !...
« Aux uns comme aux autres je veux offrir, dérivatif précieux, calmant salutaire, ou tableautin pris sur le vif.
« C’est jour de championnat à Bidache. Le « club » du crû reçoit l’Etoile Sportive de Léon : Bidache-Léon, ce n’est pas un « great event » (pour parler en français sportif), ce n’est pas un « match vedette » : aussi n’a-t-on pas fait d’affiches, et la Fédération n’a-t-elle pas mis, sur cette ligne, de « sleeping » à la disposition de ses délégués. Le Comité de Côte Basque a cependant envoyé le sien, homme que ces sortes de déplacements enchantent et qui promène volontiers, dans les petits « patelins », son flegme, sa bonne humeur… et son bel appétit.
« A Bidache, ce jour-là, point d’effervescence, point d’affolement. Chacun prend largement le temps de déguster le dîner dominical. A l’heure fixée, il n’y a sur le terrain que l’équipe des visiteurs ; elle attend, paisible, sans songer le moins du monde à soulever une tempête autour du tapis vert pour ce retard contraire au règlement.
« Le public se décide. Sans se presser, il coupe à travers champs et prairies pour atteindre le « ground » où, hier encore, poussaient peut-être maïs et patates… La recette se monte à 218 francs (moins d’un Euro trente)… les locaux sont enfin arrivés – d’ailleurs incomplets – en avance d’une bonne demi-heure sur le Président du club qui, lui, s’en viendra, vers la mi-temps, achever au frais son excellent cigare…
« … Bidache a perdu le match, mais les spectateurs, au retour comme à l’aller, gardent leur bonne humeur, leur inaltérable confiance… « Pardi, nous n’étions pas au complet comme les autres ! » concluent-ils avec philosophie…
« Un souvenir, voulez-vous, et un regret pour l’âge héroïque du rugby bayonnais, pour ces dimanches d’il y a vingt-cinq ans [
écrit en 1930, je le rappelle] où, sur une portion du Camp Saint-Léon clôturée de bâches, insensibles au soleil ou à la pluie, quelques centaines d’enragés vibraient aux exploits des Ancibure, Anatol, Lafitte et autres Forgues…
« C’étaient le bon temps !
« Croyez-moi, les sportifs : si la « poisse » continue, allez donc un dimanche, faire un tour à Bidache !... »
[2]Il s’agit d’extraits d’un recueil de chroniques écrites par le Chanoine Jean Lamarque, une figure bayonnaise des années glorieuses, que j’ai eu l’honneur de connaître bien… Qu’il est bon de se souvenir que d’une part « sic transit gloria mundi » de nos chers Cæsars et que le rugby commence dans la boue.
Je n’en demeure pas moins un fervent admirateur du Stade Toulousain… ne m’en veuillez pas… peut-être des restes de souvenirs qui fleurent bon la violette… et évidemment de l’Aviron Bayonnais mais toujours et plus encore du jeu de rugby.
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[1] Jean Lamarque,
Croquis bayonnais de « Peillic », coups de plume, coups de crayon, Bayonne 1930, p. 66ss.
[2] Jean Lamarque,
Croquis bayonnais de « Peillic », coups de plume, coups de crayon, Bayonne 1930, p. 63ss.